A l’occasion de la sortie de son titre « Chinoise ? », nous avons eu le plaisir d’échanger avec Thérèse en vue d’en savoir un peu plus. Mais avant, on écoute :

Salut Thérèse, bon retour sur le mag. Une rapide présentation ?

Tu veux que j’invente une nouvelle personnalité ou je peux renvoyer les gens à l’article du 6 octobre (rires) ? J’aime pas faire des copier-coller, alors je vais te dire ce qui me passe par la tête right now : je suis musicienne et styliste engagée dans plein de sujets de société. J’habite à Paris sur la colline de Belleville et c’est l’endroit au monde où je me sens le plus chez moi. Je ris beaucoup, sans être bon public. Je travaille ma fantaisie autant que mon hygiène mentale. Et j’ai un penchant obsessionnel pour le fromage. (J’ai déjà hâte de répondre à cette question la prochaine fois !)

On parle d’ici de ton titre « Chinoise ? » qui, musicalement, est très bien réalisé, mais qui dégage un message bien particulier. Que peux-tu nous dire à ce sujet ?

En effet, la chanson parle d’un sujet qu’on n’a pas l’habitude d’entendre dans le paysage musical français. En vrai, je crois que je ne connaissais aucune chanson, avant de l’écrire, qui parlait de ce sujet en particulier : le racisme anti-asiatique dans notre société. On vient de me parler ce matin de « Belle Asiatique » de iNA-iCH qui date d’il y a plus d’une dizaine d’années.

Après, il faut dire qu’on est encore peu de musiciennes d’origines asiatiques… C’est pourtant un phénomène qui prend de l’ampleur depuis un peu plus d’une dizaine d’années en France, où les communautés asiatiques sont passées d’une place de « communauté modèle » (attribut donné par Nicolas Sarkozy) à « communauté louche, à craindre » au fil du temps, voire carrément « à tabasser » (cf. les tweets récents d’appel à la violence et les attaques physiques des deux vagues de la Covid-19). Bref, suite à des interventions médiatiques assez fats cette année (Loopsider, C’l’Hebdo, Quotidien etc.) et à la charge émotionnelle liée à tout ça, j’ai ressenti le besoin de retravailler ce texte. Je l’avais commencé il y a deux ans déjà, en anglais, mais j’ai décidé de le traduire dans la langue du pays dans lequel je vis… Pour sensibiliser le plus grand nombre à ce qui se déroule tranquillement sous nos yeux. Et aussi pour appeler à l’union et au vivre ensemble. C’est ce que dit la chanson. C’est aussi ce que disent mes actions quotidiennes. Que ce soit dans la mode, sur les réseaux sociaux où dans les écoles dans lesquelles j’interviens etc.

En revanche, j’ai une question à mon tour : pourquoi un « mais » entre ces deux propositions ? 

Je trouve la formulation de la question super intéressante, comme si « musicalement, est très bien réalisé » et « dégage un message bien particulier » étaient incompatibles ou en opposition (rire). J’ai le sentiment parfois que l’industrie n’a pas encore assez l’habitude de voir une figure féminine pop (indé, qui tire vers le mainstream) s’approprier des sujets de société qui « grattent » de façon aussi frontale tout en assumant une image glam. Mais ça viendra, j’ai confiance haha.

Un mouvement a été lancé sur les réseaux sociaux pour dénoncer le racisme anti-asiatique. On aimerait en savoir un peu plus !

Mmm y en a eu plusieurs, surtout cette année. Ça a commencé en janvier dernier (mon dieu ça va faire un an) avec le hashtag #JeNeSuisPasUnVirus (#ImANotAVirus à l’international) lancé par une française adoptée d’origine asiatique. À cette époque où, on en savait peu sur le virus et où les personnes censées avaient besoin de faire de la prévention et l’expliquer que non, tous les asiatiques de France n’étaient pas Chinois. Que non, tous les Chinois de France n’étaient pas forcément allés en Chine sur ces derniers mois. Et que non, en fait, un virus n’avait pas de couleur, etc.

La peur l’emportant souvent sur la raison, qui est plus est alimentée par des médias et nos gouvernants (« Alerte Jaune » du Courrier Picard avec une personne visiblement « asiatique » dessus ou Trump qui n’a jamais cessé d’appeler la Covid-19 « le virus Chinois » etc.), cela n’a pas suffi pour empêcher les violences et les insultes. En tant que militante, je voyais affluer sur mes comptes des dizaines d’agressions par jour etc. Des gamines qui se faisaient frapper par leurs camarades à l’école etc. Cela va bien au-delà du processus d’évitement et du principe de sécurité de s’éloigner d’une personne qui a l’air asiatique dans le métro !

Bref, on a cru que ça s’était un peu calmé entre les deux vagues. Les gens étaient moins tendus du fait du déconfinement des grandes vacances etc. Mais la violence a repris de plus belle depuis l’annonce du reconfinement, il y a un mois et demi (cf. les tweets dont je parle plus haut). Du coup, au-delà de ce hashtag, il y a surtout plein d’assos différentes qui œuvrent pour faire de la sensibilisation, de la prévention, de l’information, de la réflexion ou de l’accompagnement de victimes. Certaines sont anciennes, d’autres nées entre les deux vagues : l’AJCF, Le Collectif Asiatique Antiraciste, Décolonisons-nous, Sororasie, Stop Asiaphobie 2, Sécurité Pour Tous etc. Il est important que des associations puissent aider à réagir à ce type d’événements, mais aussi faire un travail sur le long terme. Un mouvement sur les réseaux sociaux, c’est cool, ça fait parler… Mais c’est pas parce qu’on a mis un carré noir ou bleu sur Insta que les problèmes se règlent…

L’intégration et l’universalisme, ça ne s’improvise pas. Nos gouvernants devraient se le rappeler. Sans action, ces idées qu’ils arborent comme des trophées hérités des Lumières sont jolies mais creuses. Je pense que les philosophes du XVIIIe ne seraient pas fiers de voir ce qu’on a fait de leur héritage.

La situation sanitaire actuelle est terriblement handicapante pour les artistes, comment la vis-tu ?

Je suis une pragmatique optimiste. Je prends le bon où j’arrive à le voir et j’ai une grande aptitude à m’inventer du travail ou des projets hahaha. En vrai, sans le premier confinement, je n’aurais jamais lancé « Thérèse », je n’aurais pas eu l’occasion de me poser la question de ma définition de l’art / de l’artiste et ce que je souhaitais faire en tant que musicienne etc. Donc, pour ma part, je dis « merci ». Après je vais pas te mentir : j’ai qu’une hâte, c’est remonter sur scène, prendre un bain de foule et je rêve même d’un pogo alors que je déteste ça. J’ai peut-être de la fièvre haha !

Un mot pour clôturer cette entrevue ?

Ne perdez pas de temps ni d’énergie à détester quoi/qui-que ce soit, c’est du temps et de l’énergie gâchés à pas faire un truc plus chouette pour soi ou pour les autres. Souvenez-vous que vous faites partie d’un tout. Buvez de l’eau tant qu’elle est potable et gratuite. Dites « je t’aime » à vos proches. Soignez votre pensée critique. Soyez prudents, pas dociles. Enivrez-vous de ce qui vous fait du bien et votez pour moi au Ricard Live !

Crédit photos : Thomas Daeffler