« J’essaie alors de construire un entre-deux, une sorte d’espace interstitiel à mi-chemin entre réel et imaginaire. »

 

“Qui est Onirma ?” Lorsque j’ai découvert son travail il y a quelques mois de cela, je me suis posée cette question. Il y avait quelque chose dans ses illustrations qui m’intriguait. Un truc que je n’arrivais pas à saisir, et cela m’énervait profondément. Puis un jour, j’ai sauté le pas, je l’ai contacté. Et je suis très reconnaissante d’avoir eu la chance de m’entretenir avec elle, dans le cadre de ce format, un peu beaucoup expérimental. Aujourd’hui, j’aimerais essayer de vous présenter Onirma, jeune illustratrice et petite pépite créative.

Teeth

Entre paradoxes, douceur et étrangeté 

Onirma, c’est un mélange de pleins de choses. Une attirance pour le bizarre, une fascination pour l’étrange, tout un tas d’obsessions et encore plus de questionnements. Onirma, c’est en fin de compte la sensibilité de l’artiste qui se manifeste à travers une perception complexe et singulière du réel. Loin des délires perchés et conceptuels de pas mal d’artistes et d’illustrateur.trices contemporain.es, son travail va au-delà des clichés du surréalisme. 

Elle interroge sans cesse le réel et le manipule. Elle le transforme pour aboutir à la production “d’étranges banalités”. Ses illustrations, elles sont comme des vignettes de chapitres. Ce sont des parenthèses qui surprennent. Elles sont attirantes avec leurs sujets qui émergent de nulle-part.

Vous connaissez sûrement, grâce à vos cours de français le célèbre oxymore “cette obscure clarté qui tombe des étoiles”; et bien les illustrations d’Ornima s’en rapprochent. Son travail n’est que paradoxes et ambivalences. 

En discutant avec elle, j’ai pu percevoir quelques pans de son univers, apprendre d’où il venait et voir que celui-ci est à la fois complexe et raffiné, sans pour autant être inaccessible et tape à l’œil. En effet, il y a toujours quelque chose de familier auquel on peut se rattacher. C’est moins un travail tiré exclusivement de l’imaginaire, qu’une singularité émergente du réel. En fait, l’univers d’Onirma est composé de nombreuses influences rattachées au domaine de l’intriguant : Edward Hopper, David Lynch, Magritte, Roger Ballen… Beaucoup de contemplation, de réflexions, un voile de nostalgie… Dans ses illustrations, elle fait émerger une tension fascinante : un flou constant entre ce qui relève de la réalité et ce qu’il y a « derrière », c’est quelque chose d’inextricablement lié au tangible, mais qui pourtant, s’en écarte légèrement et parfois même, naïvement.

Cette intention de troubler le réel, on le ressent également dans la phrase fétiche de l’artiste,  « It’s a strange world isn’t it ? » (C’est un monde étrange n’est-ce pas ? TRDL). Cette réplique prononcée par Jeffrey dans Blue Velvet a vraiment marqué Onirma. A tel point qu’elle a confessé vouloir se la faire tatouer. Peut-être que je pars trop loin dans mes analyses, mais je pense comprendre pourquoi. Il s’agit de mots simples, qui vont pourtant créer une brèche dans notre façon de voir les choses. Cela va réveiller des peurs, des rêves, un doute. Et cela colle parfaitement avec l’univers de l’artiste.

Beetle scaled

Ce qui se cache derrière le réel

Quand on regarde ses productions, on n’est pas perdu dans un monde fictif et hyper lointain. On contemple des scènes poétiques, parfois inquiétantes, parfois improbables, sans prétention. Ce sont comme des petites fenêtres par lesquelles on peut voir une autre version du réel. A 24 ans, cette jeune artiste consolide peu à peu son identité en proposant des œuvres pleines d’étrangeté. C’est d’ailleurs après ses études en Arts appliquées, spécialisées en Design Graphique et Création numérique, que son univers artistique s’est affirmé. Son parcours scolaire lui ayant permis d’explorer sa sensibilité. Au fil de ses expérimentations et de ses pratiques de divers médiums, son identité s’est affirmée pour aboutir à son travail actuel.

« J’ai souvent besoin de savoir ce qui se cache derrière le tangible, derrière la réalité immédiatement perceptible. Qu’est-ce qui se loge d’infiniment petit dans ce recoin et que je ne peux pas voir ? A quel moment précis bascule-t-on du jour à la nuit ? Qu’est-ce qui se trouve pile entre deux fractions de seconde ? A quel moment est-on dans le présent ? De la même manière, je me pose régulièrement la question de ce qui se passe dans la tête des gens. Quelle impression une personne va-t-elle immédiatement avoir devant telle ou telle image et pourquoi ? »

Onirma, c’est un peu la quête infinie des lieux créatifs. Comme elle le dit si bien “les recoins où l’imagination se loge” forment des mystères qu’elle tend à résoudre, lorsqu’elle produit de nouvelles illustrations. Ses objets graphiques à la fois familiers et bizarres abritent “l’entre-deux” où elle puise son inspiration. Là où ses émotions la guident et lui permettent de créer, naissent des compositions intrigantes et douces.

Liaisons créatives et sensibilité

Son truc, ce sont les associations. Par moments, elle m’a fait penser à un cadavre exquis ambulant. Son processus créatif est inspirant. Elle puise dans tout ce qui peut se prêter à des liaisons. Elle combine les images, les interprétations, le quotidien, le rêve etc. Parfois, cela aboutit à des compositions totalement sorties de nulle part, mais c’est ce qui forment ses leviers de productions.

« Il y a des mots, des concepts, qui m’inspirent tout particulièrement et auxquels je peux réfléchir pendant des heures : les notions d’entre-deux, d’interstice, de limite… Ou alors d’autres mots, qui me plaisent de par leur sonorité ou ce qu’ils m’évoquent : la nuit, le flou, le noir, le caché, l’en-dedans, l’eau, une entrée secrète… J’aime associer ces mots ensemble, je trouve que certaines combinaisons ont un très fort pouvoir sur l’imagination et me donnent instantanément envie de créer : parlez-moi de l’épaisseur de la nuit, d’un feu sous l’eau, ou d’un feu noir, et je suis la plus heureuse ! Ce sont des choses dans lesquelles je peux piocher lorsque je cherche de l’inspiration. » 

Il y a donc toujours cette tension existante du réel et du bizarre. Aussi, elle développe un concept de création participatif avec sa communauté. Vous prenez sa capacité d’association d’idées, vous l’élargissez à un public composé d’inconnu.es et vous obtenez les sessions de “pensées spontanées”. Elle en organise de temps en temps sur Instagram. C’est un temps où la communauté est libre de s’exprimer. Un mot est soumis, les gens témoignent de ce qu’ils ressentent, elle capte le tout et le transforme. En fait, Onirma c’est un peu une magicienne de la pensée divergente…

« Je propose un mot et à partir de là, les gens balancent les autres mots, idées ou émotions qui leur viennent spontanément à l’esprit. Ensuite je collecte tout ça, j’en fais un brainstorming géant dans lequel je tisse des liens entre les idées, puis j’écris un petit texte qui tente de retranscrire l’espèce d’image chimérique qui naît du mélange de toutes ces pensées spontanées. L’objectif c’est de créer ensemble une sorte d’imaginaire collectif, et de s’inspirer mutuellement ! »

Cela donne des « cartes » de pensées qui construisent des « paysages créatifs ». Ce sont des moments de réflexions où elle va construire des cheminements de pensées, une déambulation créative qui va aboutir à un voyage sensible. C’est juste simple et authentique. Grâce à ces sessions, on communique ensemble, on dialogue à la fois avec l’artiste, mais aussi avec toutes ces personnes qui livrent leurs perceptions et ressentis. C’est une sorte de « jeu de miroir », qui renvoie des reflets fragmentés à l’infini. Elle les récolte et en fait un texte inspirant. Je vous conseille d’y participer au moins une fois, que vous soyez créatif ou non, ce genre d’expérience, c’est toujours chouette. Puis, pour les plus sensibles, cela met dans un mood intéressant.

Onirma, est pour moi, une illustratrice qui réussit à concevoir un univers contemplatif et narratif. Ses illustrations me font l’effet « d’arrêts sur image » ou de petites lucarnes ouvertes sur des singularités.

Burning Water

Encrer dans le vivant 

La première fois que j’ai découvert son travail, je pensais qu’il s’agissait de planches de tatouages. Je me suis dit que son style était beau et propre. Je cherchais même si elle ne proposait pas des flashs… pour moi, c’était logique qu’elle soit tatoueuse. Puis je me suis rendue compte, un peu déçue (mais dans le bon sens du terme), que non, Onirma était illustratrice. Vous imaginez bien comment j’étais fière de moi, lorsqu’elle m’a dit vouloir entrer dans le milieu du tatouage ! Comme quoi, j’avais eu du nez !

Cette artiste s’épanouit dans le dessin, comme je l’ai dit plus tôt, son identité et son univers sont en train de prendre corps et de révéler de très belles choses. Le fait qu’elle veuille passer à un autre médium n’a rien de surprenant. C’est une exploratrice qui veut créer des liens avec son public. Quoi de plus beau que d’y arriver en gravant ses interprétations sur la peau d’autrui ?

« J’adore l’idée que mon imagination et celle des gens, fusionnent pour donner une autre dimension à mes créations. Dans l’idéal, j’aimerais que l’on me confie des projets, des histoires et que l’on fasse confiance à mon imagination pour créer à partir de ces éléments, un motif unique et qui leur parle [aux gens]. Et puis aussi, je vois dans l’acte du tatouage un vrai défi : tu n’as pas de deuxième chance, la personne te donne son entière confiance pour encrer sa peau pour toujours et tu dois être à la hauteur. Ça me plaît ! »

A l’heure actuelle, elle a passé sa formation à l’hygiène. Premier pas vers une nouvelle aventure artistique donc. Et si vous connaissez un shop intéressé pour la prendre en apprentissage, n’hésitez pas à la contacter !

Carnivorous scaled

Onirma, c’est donc une jeune femme qui fourmille d’idées. Avec nos échanges, j’ai vraiment pu découvrir une artiste touchante et inspirante. J’espère d’ailleurs avoir réussi à vous la présenter correctement, et que ces quelques paragraphes vous auront donné l’envie de soutenir son travail. J’ai vraiment apprécié ces moments d’échanges. Ensemble nous avons partagé des réflexions passionnantes et quelques rires virtuels. Je tiens particulièrement à la remercier de m’avoir suivi dans ce format d’entretien expérimental. Je m’excuse d’ailleurs si c’est un peu brouillon et/ou trop long… j’espère que cela vous aura intéressé.

 

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